La « neuvième saison » de Koh Lanta qui vient de commencer sous les meilleurs auspices pour la chaine va vraisemblablement rencontrer autant de succès que les précédentes éditions et les patrons de TF1 en pleine érection se frottent déjà les mains… Pourquoi s’en priveraient-ils ?

Si le divertissement familial ravit petits et grands, il devient franchement hilarant lorsqu’il est regardé par les yeux d’experts de la survie en jungle et en milieu hostile… A ce propos, une anecdote qui m’est revenue à l’esprit mérite d’être racontée…

Il y a quelques années, j’avais eu la curieuse idée de remonter une rivière de Bornéo à la saison des pluies, la saison où… Il pleut ! J C’est ainsi qu’avec mes deux copains indonésiens nous étions arrivés dans un kampung, (un village) encore occupé par des dayaks reconnaissables à leurs longues oreilles…Après la traditionnelle visite chez le kepala kampung, (le chef de village), nous nous étions retrouvés dans une maison communautaire à côté de laquelle il y avait une énorme parabole.

Dari mana ? (D’où venez vous ?)

Dari Perancis… (De France…)

Adah Televisi Perancis disini… (Il y a la télévision française ici… !)


Et voilà que notre hôte commence à trifouiller les boutons d’un semblant de décodeur le « ventre » à l’air… Les enceintes crépitent, crachotent, le grand écran scintille, des images improbables apparaissent un court instant avant de disparaitre… Et voilà que, quasi miraculeusement, un programme est bientôt parfaitement visible sur le téléviseur et qui plus est… En Français ! En fait, il s’agit d’une chaine qui compile les « meilleures » émissions francophones ! Personnellement, j’aurais préféré voir la télévision locale mais il n’est pas question de vexer ces gens qui pensaient me faire plaisir. Après les informations nationales et un bulletin météo qui annonce un refroidissement des températures, sauf à Marseille, voilà que nous avons droit à un épisode de Koh Lanta… !

La situation est assez surréaliste et il m’est assez difficile d’expliquer à ces gens qui vivent de manière très « sommaire » en pleine jungle que des orang putih, des hommes blancs « jouent » à un drôle de jeu qui consiste « survivre » sur une île déserte et recouverte d’une forêt inhospitalière… Avec cet éclairage, je les vois soudainement pris de fou-rires car ils commencent à comprendre l’absurdité de ce jeu débile qui ridiculise ses participants…  Ils rient de la maladresse de certains et ils me jettent des regards étonnés en se frappant la tête au dessus du front d’un index tendu, ce qui est la manière locale de signifier la folie…

Lorsqu’ils me demandent ce que l’on gagne à ce jeu, je leur explique que les participants sont éliminés un à un et que le dernier « survivant » sera déclaré vainqueur… Qu’est ce qu’on gagne… ? De l’argent… Berapa ? Combien ? Cent mille…, seratus ribu euros… Une somme totalement indécente et inconcevable dans le pays… Sachant qu’un euro vaut plus de dix mille roupies, cela ferait de notre gagnant ni plus ni moins qu’un milliardaire en rupiah… En voyant ces regards interloqués, je me dis que j’aurais mieux fait de fermer ma gueule et je tente de noyer la poiscaille en riant avec eux de quelques « spécimens » visiblement aussi à l’aise dans la nature qu’un poisson hors de son bocal…

Enfin, c’est le moment de la « question qui tue »… Apakah mungkin bermain ? Est-ce qu’on peut jouer ?

Alors, je ne peux m’empêcher de penser que ce serait désopilant d’inviter des membres d’une ethnie sur un tournage… Leur permettre de montrer aux handicapés de la vie finement « sélectionnés » lors d’un casting d’apprentis héros qu’ils ne sont qu’un ramassis d’inutiles spécialement « choisis » pour leur inadaptation à autre chose qu’une vie citadine…

Je les imagine, partant à la pêche, revenant quelques heures plus tard avec de la nourriture pour plusieurs jours, chassant à l’arc, posant des pièges, grimpant au sommet des cocotiers avec l’agilité d’un gibbon pour déloger les précieuses noix, enfumant des nids d’abeilles pour en extraire le miel, cueillant des fougères qui feront d’excellentes salades… 

Avant cela, il leur aurait suffi d’une journée pour construire un abri confortable sur pilotis, parfaitement étanche qu’ils amélioreraient jour après jour et qui deviendrait rapidement  la cabane « tout confort » de Robinsons des temps modernes… J’ai eu souvent l’occasion d’accompagner des « chasseurs » de nids d’hirondelles sur leur terrain et j’ai toujours été émerveillé par leur capacité à « vivre » en autarcie pendant des semaines en pleine jungle, comme leurs ancêtres, une chose que peu d’européens sont capables de faire et certainement pas les « aventuriers » à deux balles de Koh Lanta…

Revenant sur ce programme affligeant, le plus dur avait été d’expliquer à mes hôtes qu’ils n’auraient aucune chance de gagner car il s’agit d’un jeu de stratégie… Les « meilleurs » sont impitoyablement éliminés, d’un jeu qui fait la part belle aux beaux parleurs, aux menteurs, aux tricheurs, voire aux voleurs, un jeu dans lequel il faut savoir se montrer séducteur ou séductrice avant de trahir ses meilleur(e)s ami(e)s…

Une leçon de « vie » à l’occidentale bien difficile à comprendre pour des gens aussi simples… !

Nb. Les photos qui illustrent cet article montrent deux ramasseurs de nids d'hirondelles, une peau de python qui a fait l'objet d'un bon repas, un des crocodiles qui pullulent sur certaines rivières...

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