En faisant l’inventaire du contenu d’un tas de cartons de bouquins, je suis tombé sur ce pavé de Dostoïevski qui m’a immédiatement fait sourire. Les lettrés qui ont déjà lu « Les possédés » savent à quel point cette trilogie est tout sauf hilarante et ils se doutent déjà que ce petit sourire amusé cachait quelque chose et plus exactement, une anecdote qui mérite d’être contée…


couvdostoievskiSans que personne ne m’y ait jamais forcé, j’ai été un lecteur précoce, peut-être trop, j’ai eu la passion des livres dès le plus jeune âge, dévorant tout ce qui me tombait sous la main, y compris des œuvres qui n’auraient jamais dû tomber entre les mains d’enfants. Alors que j’étais en 5è, je m’ennuyais ferme dans les cours d’une prof de français sévère et sans aucun charisme qui donnait à ses élèves une envie frénétique de faire l’école buissonnière…

Il y avait belle lurette que j’avais lu tous les textes proposés par cette mégère et je tenais compagnie au radiateur du fond de la classe, lisant d’autres bouquins quand je n’avais pas le regard perdu dans la colline qui était là pour me narguer...

Alors qu’un véritable cancre aurait été viré depuis longtemps, le cas d’un gamin indiscipliné et réputé « fainéant » qui avait pourtant les meilleures notes de la classe en Français et en Latin posait visiblement un problème au corps enseignant et j’avais très bien compris le bénéfice que je pouvais en tirer…

 

Ce jour-là donc, suite à un chahut, cette prof austère et antipathique avait infligé à la classe un devoir de deux heures qui ne devait avoir pour seul but que de lui offrir une après-midi de tranquillité. Comme d’habitude, j’avais bouclé ma copie en moins de trois quarts d’heure et sans rien dire, j’avais continué la lecture de ce pavé de Dostoïevski. Alors qu’il aurait été possible d’entendre les mouches voler, je ne m’étais pas aperçu que la mégère s’était approchée de moi avec sa grâce habituelle de « caterpilar ». Croyant me surprendre en flagrant délit de triche, elle avait découvert que mon devoir était fini, même pas bâclé et que j’étais plongé dans un livre qu’elle m’avait ôté des mains…

 

-          « Ce n’est pas de la littérature pour un garçon de ton âge… »

-          « Peut-être, mais moi çà me plait… »

-          « Tu ne peux pas tout comprendre… ! »

-       « Quand il y a des mots que je ne connais pas, je les note et après je les cherche dans un dictionnaire… »

 

Après avoir jeté un œil sur ma copie pour vérifier que je n’avais pas bâclé le travail, elle s’était radoucie et avait commencé à me poser des questions sur mes lectures, comme une grosse « fliquette » jouant le rôle de la méchante qui aurait voulu me prendre en défaut. Mes réponses semblant l’étonner et la satisfaire, elle avait fini par lâcher dans un soupir…. « Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi… ! », une phrase à laquelle j’aurais bien répondu « Me foutre la paix ! » si j’avais été moins timide…


Continuant son « interrogatoire », elle m’avait demandé quelle avait été ma précédente lecture et c’est alors que j’avais eu l’idée d’un titre qui n’était qu’un demi mensonge vu que je l’avais déjà lu :


-          « Justine ou les malheurs de la vertu… »


Son visage horrifié trahissait que j’avais fait mouche, un petit bonheur que j'avais bien du mal à dissimuler...


-          « Tu n’as pas pu lire çà… ! »

-          « Si… ! »

-          « Et d’autres romans du Marquis de Sade il y a déjà longtemps… »

 

justineLa prof de français bigote qui avait repris son air sévère devait être à deux doigts de la crise cardiaque et c’est tout juste si elle n’avait pas sorti son crucifix et un flacon d’eau bénite… Reprenant ses esprits, elle m’avait dit qu’il y avait beaucoup de choses que vu mon jeune âge je n’avais pas du comprendre dans cette histoire, ce à quoi, j’avais osé lui répondre qu’avec un bon dictionnaire et les planches anatomiques de l’encyclopédie j’avais TOUT compris…

 

Malgré, ou peut-être à cause de cet échange, je n’avais pas réussi à me débarrasser de cette fâcheuse et au contraire, voilà qu’elle poussait la conversation un peu plus loin :


-          « Vu ton talent et ton goût pour la littérature, tu devrais venir à mon cours de théâtre… »

 

C’est alors que commençant à comprendre les rouages de la provocation, je lui avais répondu que si cette oeuvre du « Divin Marquis » était adaptée au théâtre, je ne voyais pas exactement quel rôle elle aurait pu interpréter. Cette fois, elle avait du trouver que j’avais dépassé les bornes et elle mît fin à la conversation en me disant qu’il faudrait qu’elle ait un entretien avec mes parents…

 

Sans doute aurait-elle préféré que je me contente de la bibliothèque rose !

 

Nb : Quelques jours plus tard, elle avait rendu les copies corrigées et la mienne était la seule à être sans fautes, ce dont je me moquais vu mon désintérêt pour les bons points et autres images...

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