Je suis arrivé à Java pour la première fois un soir de mai 1982. Notre hôte, le Docteur Ko nous attendait à l’aéroport et nous avons filé directement en minibus vers « Buena Vista », sa propriété nichée sous le col de « Puncak » entre Bogor et Bandung. Je me souviens d’une nuit d’encre, d’une opacité que les phares des voitures arrivaient difficilement à percer. Un véritable déluge s’abattait sur la région et  les routes boueuses étaient particulièrement glissantes. Trois heures plus tard, nous étions enfin à bon port dans une villa confortable. Après un copieux « nasi goreng », nous nous étions endormis très vite, fatigués par le long voyage et le décalage horaire…

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En fait, un événement totalement extraordinaire nous avait totalement échappé et ce n’est qu’au matin que nous avons compris que cette obscurité dérangeante même pour des spéléologues était inhabituelle.
Le volcan Galunggung venait de rentrer en éruption et il avait craché un immense panache de cendres dans l’atmosphère…
Ce phénomène naturel qui était loin d’être une « première » en Indonésie avait failli causer une catastrophe aérienne sans précédent, un Boeing 747 ayant été piégé par un nuage de scories pulvérulentes… Les quatre réacteurs de l’appareil étant tombés en panne quasi simultanément, le gros porteur avait fait une chute vertigineuse de plus de 8000m avant que les moteurs ne se décident à repartir et que le pilote ne réussisse un atterrissage de fortune sur l’aéroport de Semarang !
 
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Ce matin là, il régnait une ambiance bizarre et une certaine inquiétude était palpable. Une colonne de véhicules à plateau évacuait des familles emmitouflées dans leurs « sarongs », une protection plus que symbolique contre cette poussière qui s’insinue partout. A dix heures, le soleil ne s’était toujours pas levé et le paysage disparaissait sous une épaisse couche de poudre blanche qui n’avait rien à voir avec de la cocaïne. Le ciel lui-même était blanc et la chaine de volcans qui domine Bogor était totalement invisible.
 
Depuis, je suis retourné souvent dans le coin et les deux magnifiques volcans que sont les « gunungs » Gede et Pangrango m’ont longtemps nargué avant que je trouve le temps de les gravir. Quelques années plus tard, c’est en compagnie de Babeth et de deux routardes teutonnes rencontrées du côté de Jakarta que j’ai pu faire l’ascension du gunung Gede. La grimpette commence à partir du magnifique jardin botanique de Cibodas qui s’efforce de protéger une végétation luxuriante et endémique qui justifie qu’elle soit protégée par un parc national. Il suffit d’un peu moins de trois heures de route au départ de Jakarta pour franchir le col de Puncak (1450m) et de profiter de la fraicheur de cette région montagneuse qui devient un lieu de villégiature très prisé des indonésiens les plus fortunés.
 
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Comme c’est très souvent le cas en milieu naturel, les touristes sont très peu nombreux à s’aventurer très loin dans le parc et ce jour là, nous sommes les seuls à entreprendre l’ascension de ce volcan qui culmine à 2958m d’altitude. Contrairement aux rares randonneurs qui partent de nuit pour assister au lever du soleil depuis le sommet, c’est en fin de matinée que nous commençons notre marche. Nous avons décidé de prendre le temps de profiter du paysage tout au long de l’ascension et nous avons prévu de camper à plus de 2800m d’altitude dans une caldeira proche du sommet. Cette idée de bivouac en montagne n’était pas du gout des rangers et il a fallu toute la persuasion du Docteur Ko pour qu’ils acceptent de nous laisser partir. « Il fait très froid la nuit et il y a même de la glace… ». Bof… ! L’argument massue, le « vrai » est inévitable à Java. Le cratère et ses environs sont le domaine des dieux et des démons et les fantômes y sont légion… Comme d’habitude, j’explique que je voudrais bien les voir, que je trinquerais volontiers avec eux… Ils me prennent sans doute pour un malade mental mais ils nous laissent partir non sans nous avoir donné une dernière information… Au sommet, il n’y a pas de chemin mais pourtant, vous verrez les traces laissées par le passage du char d’une déesse qui passe par là toutes les nuits… J’ai failli leur demander si la tenancière du bordel était sexy mais je n’étais pas sur de l’accueil qui aurait été réservé à cette dernière vanne !
 
La forêt est effectivement très belle, parfaitement conservée, ce qui est de plus en plus rare à Java. Sur le sentier, il y a de l’eau partout et les mousses envahissent tout. De la vapeur s’élève des nombreuses sources d’eaux chaudes, parfois quasiment bouillantes qui témoignent de l’activité du volcan. Par endroits, de véritables cascades dévalent le sentier qui emprunte carrément le lit de ruisseaux et des mains courantes ont été installées dans les passages un peu trop glissants. Au-dessus de 2400m, la végétation se raréfie et change totalement. Un vent fort souffle sur l’arête sommitale qui contourne le cratère fumant et nous sommes contents d’avoir emporté nos vestes en goretex. En définitive, nous sommes montés beaucoup plus vite que ce qui nous avait été indiqué et comme Sir Thomas Stamford Raffles en 1815, nous avons le temps de contempler le paysage. Il ne nous reste plus qu’à chercher un emplacement pour nos tentes avant de profiter des derniers rayons du soleil qui descend lentement sur l’horizon.

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En quelques minutes, le camp est dressé au fond de la fameuse caldeira qui devrait nous abriter un minimum du vent glacial. Celui-ci est là pour nous rappeler que nous sommes à plus de 2800m d’altitude et que la nuit pourrait bien être très froide, même sous cette latitude… Nos petits duvets en fourrure polaire sont très insuffisants mais nous avons eu la bonne idée d’emporter des anoraks et des sous vêtements en rhovyl. Après avoir mangé, nous passons un moment à contempler le ciel étoilé et les lumières que l’on voit scintiller un peu partout dans la plaine. A 21h, nous sommes déjà couchés sous nos abris de toile et il ne nous reste plus qu’à profiter du silence… Ou plutôt non… Le vent continue à souffler en rafales et son intensité n’a pas l’air de vouloir diminuer. En jungle, j’aime écouter les bruits de la nuit, mais ici il ne semble y avoir que le sifflement de ce blizzard local qui secoue les rares arbustes qui réussissent l’exploit de pousser ici.
 
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Vers minuit, nous sommes réveillés en sursaut… Le sol a bougé sous nos sacs de couchage et il nous semble avoir entendu une sorte de grondement sourd ! Voilà que çà recommence et cela est sans doute du à notre ami le volcan qui n’est peut-être pas content de nous compter parmi ses invités. « C’était quoi ? »… « Tais toi et dors !»… Ce n’est pas une vulgaire secousse tellurique qui va me faire prendre mes jambes à mon cou et en plus, j’ai sommeil ! Un peu plus tard, c’est un cliquetis étrange qui nous réveille… « Tu entends ? »… « Quoi donc ? »… « Ecoutes ! »… Effectivement, on entend distinctement une sorte de bruit de chaines et on dirait que quelque chose grince… Je commence à plaisanter… « Ce doit-être la déesse et son escorte qui rentre du bal… ». Dans la tente d’à côté, les allemandes se sont elles aussi réveillées et elles n’ont pas l’air d’être rassurées…  « Je vais voir ! ». Muni de ma frontale, je sors de la tente, bien décidé à trouver la cause de ce tintamarre qui prend des allures de bruits de casseroles. Rien, Nada, Nothing, « Que dalle »… Je n’ai rien vu d’autre que ces espèces de sillons parallèles qui peuvent effectivement faire penser aux traces de roues de charrettes dont nous ont parlé les rangers… Un coup d’œil à ma montre « alti-thermo » m’indique que la température est tombée à 3°C et que tout ce que je risque de « gagner » en me promenant en caleçon dans la pampa, c’est une bonne pneumonie ! 

Dodo… Si la déesse ou un fantôme quelconque ont quelque chose à dire… Qu’ils s’expriment de manière claire et intelligible…!
 
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Tôt le matin, le ciel est parfaitement dégagé et le lever de soleil est un véritable régal. Par chance, il ne pleut pas et la vue s’étend jusqu’à la mer pourtant distante de plus de 60km. A la nuit tombée, nous ne nous sommes pas aperçu que nous avons monté nos tentes au milieu d’une prairie couverte de ces fameux « edelweiss » Javanais  qui ont été baptisés « Anaphalis Javanica » par les botanistes. De retour sur la crête, nous passons un bon moment à observer le cratère qui « tousse » de temps à autre, relâchant à chaque fois des panaches de vapeurs toxiques… De gros nuages chargés de pluie pointent déjà leur nez. Il est temps de partir, d’autant plus que la descente par l’autre versant est parait-il beaucoup plus longue…
 
Je n’ai pas vu le chariot des Dieux mais il continue peut-être à errer toutes les nuits sur les cimes du Gunung Gede…
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